L'absolue perfection du crime
Critique de l’œuvre de Tanguy Viel
Surprenant, martelé, vif mais magnifiquement manié, le style d'écriture de Tanguy Viel nous entraine dans l'histoire d'un hold-up raté, qui en devient intense alors qu'elle aurait pu demeurer édulcorée et fade. Mais ce style si particulier illustre parfaitement le chaotique mal-être qui règne dans l'esprit du narrateur. De ce anti-héros qu'incarne le narrateur pourrait-on justement rectifier. Et pour cause, celui-ci fait partie de la grande famille qu'est la pègre... Seulement, il n'est pas ardue de voir que le narrateur subit sa vie de famille. D'ailleurs il pense plusieurs fois à provoquer le divorce. La cause? Le sentiment de ne pas correspondre au rôle qu'il doit jouer, un rôle auquel il ne croit pas... alors comment ce pauvre type en manque de repère pourrait-il croire en lui? Tout ce qu'il veut c'est une attache, une âme sœur, un frère de cœur. Son héros, il le trouve en la personne de Marin - un être dur et froid - ce même héros qui plus tard, le trahira. En attendant, il vit pour et par lui, et ne pense même pas à s'avouer qu'il est amoureux de la même femme: Jeanne, celle qui aurait pu lui faire voir quel homme il était véritablement.
Ce gâchis humain se poursuit avec la préparation du casse du casino, dont l'évacuation du magot était prévue au moyen d'une montgolfière téléguidée. La situation pourrait paraître cocasse et faire rire le lecteur par son incongruité, mais il n'en est rien. Tout au long de l'acte, une seule pensée demeure : qu'arrive t-il à Pierre après son arrestation? Car tout l'effet est là: le suspense ne se situe pas dans le hold-up, mais bel et bien dans ce qu'a impliqué son arrestation pour lui, pour les autres et enfin, comment l'homme qui a vieilli et a pris de l'assurance et surtout de la détermination se vengera des personnes qui l'ont trahi. Une fois sa peine achevée, c'est un autre homme qui arrive en ville: sans attache, détaché de la pègre, déterminé, mais surtout...en colère. Il se lance à la poursuite de Marin, ce lâche qui s'est enfui sans lui, à vécut sans lui, et n'a peut être même pas pensé à lui tout au long de sa cavale. Sa cavale qu'il a sans doute passé à voyager en compagnie de Jeanne - qui était si belle en robe blanche - ainsi que du magot. Tout ceci nous conduit en même temps que la métamorphose de Pierre à un dénouement formidable. En effet, il semble que pour Marin tout était prévu, jusqu'à l'arrestation voire la mort de ses complices. Marin voulait sans sortir, seul avec Jeanne, en ayant en tête un plan digne de Machiavel: l'absolue perfection du crime.
Mais en le comprenant, Pierre peut enfin rompre définitivement avec cet homme qui n'était rien d'autre qu'un bluffeur. Martin avait prévu de se venger dès sa sortie contre celui qui n'était pas venu le voir en trois ans. Il lui en voulait et lui a fait payer le double. La grande famille a éclaté, et cela dès le début du roman... A travers ce récit, le lecteur a pu assister à une effroyable manipulation des sentiments, le genre de châtiment qui surpasse la prison : un véritable poison psychologique... Finalement il n’y a qu’une solution : soigner le mal par le mal. Pierre a du faire face au désamour de son idole et désormais plus rien ne le rattache à lui. Il a fait son deuil et peut enfin vivre.
Personnellement, j’en tire une grande leçon de vie : qu’importe de faire rêver puisqu’au final personne n’est surhumain et que tout un chacun a ses défauts et ses faiblesses. Ainsi vivre sa vie par procuration ne permet que désillusion et désenchantement. Il faut trouver le courage de vivre sa vie, aussi palpitante ou morose soit-elle. Ainsi, si Tanguy Viel devait raconter la suite du roman, surement verrait-on enfin apparaître plus d’une fois le nom du héros. En outre, le fait que Pierre s’adresse tout au long du roman à Marin est très touchant. Ce qui était amour se transforme finalement en révolte, voire en haine. Mais en une haine passionnée, réponse d’une lutte acharnée d’un sentiment de colère et de trahison contre tout l’amour qu’il porte à Marin.
Lorsque j’ai lu ce roman, Pierre m’a fait penser à un petit garçon qu’on aurait abandonné, livré à lui-même face à un monde inadapté. Un enfant qui ne sait à quoi se rattacher. En effet lorsqu’un père ou une mère quitte le foyer familial, l’enfant ne peut s’empêcher de l’aimer, mais, face à ce paradoxe, sa colère et sa frustration en grandissent d’autant plus. Il est blessé et ne pourra être apaisé tant qu'il n'y aura pas de face à face, de confrontation, d'explication, et de compréhension. Ainsi, à travers « l’absolue perfection du crime » tout un chacun a pu se projeter à travers Pierre, et se remémorer certains moments douloureux. La compassion est d'autant plus vive. Pauvre de Pierre, et au final, pauvre de nous.
